Le journal d'une mauvaise herbe, 101 carnets au fil du temps
… pour quelques coquelicots de plus

Carnet n°94 du 26 juin 2010.
L'angoisse de la page blanche.


« Chaque début d'écriture est un retour à la case départ. Et la case départ, c'est un endroit où on se sent très seul. Un endroit où aucun de vos accomplissements passés ne compte ». Quentin Tarantino.

Voilà ce que je ressens, chaque mardi et chaque vendredi, depuis le 6 août 2009 quand je m'installe, un stylo à la main, devant une dizaine de feuilles blanches ;
voilà ce qui m'a conduit mardi dernier à m'interroger sur l'utilité de continuer cet exercice ;
voilà ce qui m'amènera, à partir de juillet, à réduire à un rythme d'une fois par semaine, le mardi, pour, à la fois, répondre au besoin que j'ai d'écrire, ne pas décevoir celles et ceux qui me lisent fidèlement et, sans doute, cesser d'en lasser quelques autres.

Mais cette citation que comprendront toutes celles et tous ceux qui ont le besoin et la passion de l'écriture et qui ressentent ce que l'on appelle plus simplement « l'angoisse de la page blanche » me permettra surtout, en cette fin de mois de juin, à l'heure du dernier week-end de fêtes d'écoles, sous un chaud soleil estival annoncé, de rendre à nouveau, un hommage appuyé et mérité, aux enseignants.
Car tel est leur métier : chaque année, en septembre, ils se retrouvent à la « case départ » avec un nouveau groupe d'enfants ou de jeunes, seuls sous leurs regards interrogatifs, critiques et sans concession.
Il leur faudra écrire une page de vie avec l'objectif, un an après, d'être passé d'une somme d'individualités à un groupe qui aura franchi une étape, qui aura progressé et qui se sera rapproché de l'âge adulte et de la citoyenneté.

Je repense souvent à ce dernier cours de juin où, les élèves sortis, dans une classe vide, l'enseignant, que je fus, se retrouvait seul et triste avec son bilan de l'année, avant, deux mois plus tard, de se retrouver, seul, devant de nouveaux élèves, toujours aussi interrogatifs, avec la même envie de les faire franchir une étape, et parfois un doute croissant quant à sa capacité d'y réussir.

Il n'est pas d'autre métier que celui de maître qui impose cette vie en rupture annuelle sans véritable progression et avec un écart qui s'accroît chaque année avec celles et ceux qui sont le cœur de notre métier !

Est-ce utile à ce stade de redire les effets de l'évolution sociétale sur les enfants et les jeunes qui lui sont confiés, le poids croissant des contraintes, les exigences d'une société qui voudraient leur imposer de réussir là où tous les autres éléments de cette société ont échoué, y compris, de plus en plus souvent, les parents.

A l'heure des discours prononcés à l'occasion des départs en retraite, j'aime cette chanson : « Adieu Monsieur le Professeur... on ne vous oubliera jamais... » et j'aime les larmes doucement essuyées.

Que dire de plus, sinon, en transition de citer Allan K Chalmers :
« Les grands principes participants du bonheur sont : quelque chose à faire, quelque chose à aimer et quelque chose à espérer ».

Et cela me fait aussi penser à tous les bénévoles de la vie associative qui, eux aussi, arrivent en fin d'année avec des charges toujours plus lourdes, des exigences de « membres-consommateurs » toujours plus grandes, des moyens toujours plus limités du fait de l'assèchement des finances publiques partout annoncé.
Partout la même question dans les communes, les associations, les centres sociaux, les clubs sportifs amateurs : comment faire plus avec autant sinon avec moins ?

Oui, face à cela et aux citoyens qui, malgré cela, ne désespèrent pas et continuent à sa battre, il m'arrive de m'irriter face aux carriéristes, aux petits politiciens manœuvriers, aux « coincés et sectaires » pour qui le monde s'arrête à leurs portes...

Heureusement les citoyens, les vrais, restent plus nombreux et c'est pour cela que je reste encore.

Heureusement le sport, le vrai, est encore dans nos quartiers avec plus de 20 000 participants et des centaines voire des milliers d'encadrants bénévoles même s'ils souffrent « des effets collatéraux » de la sottise indigne et engraissée « des bleus du foot » de retour d'Afrique.

Heureusement, même en politique, il en est de plus en plus qui ne supportent plus « la langue de bois », les « y'a qu'a », et les « nous sommes les meilleurs ».

Notre gouvernement est à la dérive, ce qui rend à nouveau sympathique l'opposition de gauche.
Mais sera-ce suffisant pour sortir de la crise ? Je ne le pense pas, et je ne suis pas le seul au milieu d'un peuple français qui « en a marre » sur bien des plans.

Oui, un peuple français et un pays, la France, qui parfois me fait fredonner, quand je vois certaines images à la télévision, que « s'appeler Français n'est pas forcément une insulte », qu'au nom de son drapeau tricolore beaucoup sont morts pour notre liberté et que son hymne, même un peu trop guerrier, est un hymne qu'il ne faut pas avoir peur de chanter... au nom de notre république, une république solidaire et laïque sous le triple signe de Liberté, d'Égalité et de Fraternité, qui reste la seule solution et la seule voie pour nous sortir d'un tunnel qui nous conduit à un univers éclaté et violent.

Je terminerai cette dernière chronique de juin par une belle phrase de Miguel de Unamuno :

« La science dit : nous devons vivre et chercher le moyen de prolonger, approfondir, faciliter et amplifier la vie, de la rendre tolérable et acceptable. La sagesse dit : nous devons mourir et chercher comment nous faire bien mourir ».







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