Le journal d'une mauvaise herbe, 101 carnets au fil du temps
… pour quelques coquelicots de plus

Carnet n° 101 du 10 août 2010
Pour mieux vivre.


En ouvrant ce 101ème carnet qui clôt une première série commencée le 6 août 2009, je repense aux 19 années durant lesquelles, de 1989 à 2008, j'avais écrit près de 5 000 carnets, certes moins « travaillés » que ceux d'aujourd'hui, car plus sommairement descriptifs de mon travail quotidien d'alors.

Je repense aussi à « mes petits carnets » griffonnés sur des blocs de diverses tailles où je décrivais mes voyages, missions et entretiens avec François Mitterrand.

J'ose, alors, à cette occasion, reprendre à mon compte une pensée de Saint John Perse, en précisant bien que je ne suis pas un poète, et que, je n'ai pas l'indigne prétention de me comparer à lui, ou à tout autre de nos grands écrivains:
« A la question toujours posée : pourquoi écrivez-vous ? la réponse du poète sera toujours la plus brève : Pour mieux vivre  ».
Car oui, en effet, en ces temps pas très simples, j'écris aussi « pour mieux vivre ».

Je repense aussi, ce matin, à Pierre Bérégovoy que France 2, vendredi dernier, a évoqué en proposant une émission vieille de deux ans, qui, sous le titre « La vérité sur les derniers jours de Pierre Bérégovoy », nous décrit un destin en marche d'un « grand bonhomme » qui n'a pu supporter d'avoir un jour la preuve qu'il avait finalement, toute sa vie, évolué « dans un monde qui, n'étant pas le sien, ne l'avait jamais vraiment accepté ».
La politique est ainsi faite : elle est, au plus haut niveau, composée de femmes et d'hommes, issus du même moule et des mêmes grandes écoles, et que donc tout unit sauf les débats et les diatribes pour conserver ou conquérir les clefs du pouvoir.
Son travail acharné, sa pugnacité, sa volonté avait mené Pierre Bérégovoy au plus haut niveau. Mais, à l'instar d'Icare, en s'approchant du soleil, ses ailes assemblées par de la cire s'étaient défaites et il était brutalement retombé. Et pour moi, le cœur des pleureuses qui ont suivi, le 4 mai 1993, n'y changeront rien.
Dans sa solitude, personne ne lui avait tendu la main et c'est sans doute cela qui l'a tué plus que « la meute de chiens » dénoncée avec force, talent et même un peu d'émotion.

Et je suis sûr que s'il avait, lui aussi, pensé à Saint John Perse, s'il avait pris la plume, son talent lui aurait permis de s'expliquer aux autres, bien sûr, mais d'abord à lui-même.
Il n'aurait sans doute pas eu besoin, car d'abord pas le temps, d'aller au long de ce canal funeste en ce 1er mai 1993.

Car il est vrai que pour dénoncer l'injustice, il faut l'avoir vécue, pour comprendre le dénuement, il faut, un temps au moins, avoir su ce que cela signifie, pour mal vivre la violence dans certains quartiers ne pas en être trop éloigné.

En écrivant cela, je sais les risques de me voir une fois de plus qualifié de populiste, et pourtant.
Ce n'est pas moi qui, à l'instar de nos élites à gauche, ne comprend pas que l'électorat de gauche puisse encore plébisciter les discours sécuritaires du Président Sarkozy et de l'UMP.
Plutôt que les dénoncer, mieux vaudrait reprocher aux droites qu'on en est à une vingtaine de discours du même type, de la part des mêmes dirigeants depuis huit ans avec pour résultat une situation qui s'aggrave chaque jour.

Ce n'est pas moi qui dirait que le droit ne doit pas être le même pour tous et que si être d'origine étrangère ne doit pas créer d'obligations particulières, cela ne doit pas non plus créer de droits particuliers, voire exempter certains, de certains de nos devoirs, obligations et lois.
Et quand, j'entends une avocate, sur une affaire en cours, parler « d'acharnement contre une communauté et une religion », je dis qu'on « dépasse la ligne jaune » et je pèse mes mots pour éviter d'être trop brutal.

Oui, au fil de ces 100 carnets, j'ai beaucoup écrit sur tout et de manière récurrente sur des questions que j'ai « vrillées au cœur » :

J'ai parlé aussi des petits bonheurs, heureusement nombreux, et des gros dossiers de la vie municipale, tout aussi importants.

Je le redis, je n'accepterai jamais que certains crèvent de faim et, qu'à côté, le commerce de luxe connaisse une croissance à deux chiffres .

Je ne dirais jamais autre chose que : il y a rarement à priori de petits et grands problèmes mais des petits qui deviennent grands faute d'avoir été traités à temps.

Je ne me satisferai jamais de voir débattre de la retraite uniquement en termes de chiffres et d'âge « légal ».

Et si je crie moi aussi à l'urgence écologique, je ne me contenterai jamais de solutions qui font « pire que mieux » quand elles ne résolvent quasiment rien.

Et c'est pourquoi dans ce domaine, si je me bats contre le gaspillage, pour le durable, pour une autre vie, je m'inquiète de ces solutions toutes faites, comme les éoliennes prévues devant le Tréport, ou un slogan anti-autoroute, quand je sais que notre réseau combiné à des règles de conduite plus strictes et à des véhicules plus sûrs nous ont fait passer en 40 ans de près de 20 000 morts par an sur nos routes à moins de 5 000. Aujourd'hui, ni Fernand Raynaud, ni Albert Camus ne nous quitteraient aussi bêtement et aussi brutalement.

Hubert Reeves, dans « Patience sur l'azur » l'a écrit :
« En science comme ailleurs, l'inertie intellectuelle, la mode, le poids des institutions et l'autoritarisme sont toujours à craindre ».

Et je terminerai ce 101ème carnet avec Honoré de Balzac :
« La clef de toutes les sciences est sans contredit le point d'interrogation ; nous devons la plupart des grandes découvertes au comment ? Et la sagesse dans la vie consiste peut-être à se demander, à tout propos, pourquoi ? »






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